Par: Comptabilité 10-2-2014
C'est une étude parue en janvier qui pose une question nouvelle, à laquelle on n'aurait pas pensé spontanément et qui prend un écho particulier dans la France de ce début 2014, où la haine de l'autre fait une réapparition aussi spectaculaire que nauséabonde.
La question, qui donne son titre à ce billet, est la suivante : subir le racisme provoque-t-il un vieillissement précoce ?
La discrimination et les actes racistes ont-ils un impact biologique mesurable chez ceux qui en sont victimes ?
Parue dans l'American Journal of Preventive Medicine, cette étude américaine ne prétend pas apporter une réponse définitive mais seulement lancer le débat avec un premier jeu de résultats. Si je m'y arrête aujourd'hui, c'est pour son approche originale et transdisciplinaire et aussi parce qu'elle est co-signée par le Prix Nobel de médecine 2009, Elizabeth Blackburn, qui n'a pas spécialement pour habitude de donner dans l'incongru et le frivole.
Les auteurs de ce travail sont partis du constat que, aux Etats-Unis, les hommes d'origine africaine constituent la population la plus durement frappée par les maladies graves et notamment celles liées à l'âge, qui apparaissent en général plus tôt chez eux. Leur espérance de vie s'en ressent d'ailleurs énormément : 69,7 ans pour les hommes noirs contre 75,7 années pour leurs homologues blancs.
D'ordinaire, cette importante différence est mise sur les compte des inégalités sociales (niveau de vie, alimentation, accès aux soins, etc.).
Cependant, depuis quelques années plusieurs études s'interrogent sur le lien pouvant exister entre, d'un côté, ces données sanitaires et démographiques et, de l'autre, le stress psychosocial qu'engendrent les actes racistes. Si cette hypothèse est correcte, se sont demandé les chercheurs, comment peut-elle se transcrire au niveau biologique ?
Pour répondre à la question, ils ont eu l'idée de s'intéresser au domaine de prédilection d'Elizabeth Blackburn : les télomères.
Comme on peut le voir sur l'illustration qui ouvre ce billet, les télomères sont des séquences d'ADN situées à l'extrémité des chromosomes et qui forment une espèce de capuchon protecteur.
En effet, chez les eucaryotes (animaux, végétaux, champignons et protistes), lorsque les cellules se divisent et se dupliquent, la copie des chromosomes est incomplète : les toutes dernières séquences d'ADN, celles qui se situent tout au bout des chromosomes sont perdues au cours de l'opération. D'où la nécessité d'avoir à cet endroit une espèce de "marge d'usure".
Les télomères ont donc à la fois pour rôle de signaler qu'on arrive au bout du chromosome et d'éviter que des informations génétiques indispensables soient perdues lors de sa duplication.
Chaque année, au fil de nos divisions cellulaires, nous perdons ainsi un peu de nos télomères.
On retrouve cette érosion chromosomique associée à certaines maladies cardiovasculaires, à l'arthrose ou à la maladie d'Alzheimer.
Les chercheurs ont donc décidé de se servir du raccourcissement des télomères comme d'un marqueur du vieillissement chez 92 Afro-Américains âgés de 30 à 50 ans, en bonne santé et issus de milieux divers, à qui l'on a prélevé quelques gouttes de sang.
En parallèle à ces analyses, deux tests ont été menés pour évaluer, si l'on peut se permettre l'expression, l'exposition de ces personnes au racisme :
Si le racisme est un poison au sens figuré, il pourrait aussi en être un au sens propre.
Il est ainsi établi que 70 % des Américains ont des préjugés contre les Noirs... préjugés que la moitié des Afro-Américains eux-mêmes partagent.
L'expérience a mis en évidence un effet, modeste mais significatif, une corrélation entre raccourcissement des télomères et "exposition" au racisme.
Mais ce lien est uniquement présent chez les personnes qui tiennent en mauvaise estime leur groupe ethnique.
Ainsi que l'explique le premier auteur de l'étude, David Chae (université du Maryland), "les hommes afro-américains qui ont une vision positive de leur groupe ethnique pourraient être protégés de l'impact négatif de la discrimination raciale.
En revanche, ceux qui ont intériorisé un biais anti-Noirs pourraient être moins aptes à gérer les expériences racistes, ce qui pourrait engendrer du stress et des télomères plus courts."
On notera que David Chae utilise le conditionnel.
Dans la conclusion de leur étude, les auteurs restent très prudents sur la portée de leurs résultats en soulignant la taille restreinte de leur échantillon. Il faudrait selon eux renouveler l'expérience sur une cohorte plus importante, suivie dans le temps.
Il faudrait aussi plus de connaissances sur la taille de départ des télomères des différentes populations et sur la vitesse moyenne à laquelle ils s'usent car les données sont contradictoires à ce sujet.
Néanmoins, ils insistent sur le fait que ce travail est un point de départ, une voie de recherche qui s'ouvre, mêlant sociologie, médecine et génétique. Dans leur article, les chercheurs utilisent, à propos de l'effet des discriminations, l'expression de "toxines sociales".
Article de Pierre Barthélémy
Sources : Mblogs