Faut-il être ami avec son supérieur ?

Par: Comptabilité 19-9-2014

Catégories:Diversité,

« L’amitié en entreprise est une forme d’opportunisme positif »

Pour 93% des Français, « l’entreprise est un lieu où l’on se fait des amis », selon un sondage Tissot (2013). L’amitié aiderait à :

Quid de la hiérarchie, des jeux de pouvoir ? Peut-on vraiment dire les collègues d’abord ? Réponses avec le sociologue Ronan Chastellier.

Une large majorité de Français voient l’entreprise comme un lieu propice à l’amitié, mais dans le même temps, 64% estiment cette amitié utilitariste.

N’est-ce pas contradictoire ?

Cette amitié « corporate » serait donc un enjeu de manipulation, quelque chose de pas très pure ?[/bteaser]

Oui, l’amitié en entreprise favorise les évolutions de carrière et permet de se couvrir en cas de problème. Cela signifie-t-il pour autant que tout est calculé, factice ?

Si on a cette vision des choses, tout ne serait qu’une simple mise en scène. Mais en prenant plus de recul, on peut aussi parler, de manière décomplexée, d’opportunisme positif : on cherche des gens qui nous font progresser afin de donner le meilleur.

Aujourd’hui, chacun est conscient de l’importance des réseaux, des connections sociales au-delà du premier cercle. Les bonnes rencontres créent des interactions dynamiques. C’est ce qu’on appelle des appareillements sélectifs :

L’entreprise voit aussi l’amitié au travail d’un bon oeil, c’est alors un facteur de productivité…

En effet, l’entreprise encourage toutes les formes d’amitié, elle l’a intégrée dans sa boîte à outils du management. Cela lui est utile.

Le team building par exemple est un facteur de renforcement, de structuration du collectif. Il y aussi une forme d’injonction à nouer des amitiés en entreprise.

Les personnes isolées ne sont pas bien vues. Dans ce monde du collectif et de la communication, c’est obligatoire.

Pour les DRH, un salarié qui a des amis est une personne épanouie. Il existe un rêve d’harmonie, de proximité dans les relations, une psychologie du cool ; on ne peut pas nier une dimension très corporate derrière tout cela.

Mais il ne faut pas oublier que ce qui favorise le plus l’amitié, ce sont les pause cafés, cigarettes, les déjeuners entre collègues, bref tous les moments de relâchement. Mais là encore tout est lié, il ne faut pas envisager d’un côté le temps de la production et de l’autre celui du loisir. C’est aussi parce que vous avez des moments de stress que vous vous faîtes des amis.

Le contexte actuel favoriserait donc l’amitié ?

On pourrait penser que les tensions aiguisent les formes d’individualisme. C’est justement l’inverse qui se passe.

L’adversité est favorable à la solidarité, à l’amitié. Lors d’un sondage où l’on demandait à des salariés « Peut-on dire non à son patron ? », nous avions pu constater que le refus de l’ordre soudait les salariés.

Avec qui est-on ami dans l’entreprise ?

Sans surprise, on noue plus facilement des relations d’amitié avec des collègues qu’avec des supérieurs hiérarchiques ou avec ses fournisseurs plutôt qu’avec ses clients.

Mais on est toujours à la recherche de personnes qui nous ressemblent. Si parmi les critères de l’amitié, le plus important est la loyauté, arrivent ensuite le partage de loisirs communs et de situations personnelles similaires.

Si vous vous interrogez sur les liens d’amitié que vous avez noués dans l’entreprise, le plus sûr moyen de les tester est encore de voir s’ils perdurent une fois que vous quittez l’entreprise…

Le sondage Tissot montre également que les réseaux sociaux effacent la barrière vie pro-vie perso…

On n’a pas attendu les réseaux sociaux pour mêler les deux. Lors de déjeuners d’affaires, vous rencontriez déjà des clients et vous invitiez toujours des collègues à manger. Mais c’est vrai que les réseaux sociaux explosent encore plus cette barrière.

Cela ne créé-t-il pas une forme de contrôle malsain des salariés entre eux ?

Le contrôle n’est pas malsain en soi. Nous vivons dans un monde où il faut contrôler son image. Vous maîtrisez déjà ce que vous souhaitez véhiculer auprès de vos proches, de vos amis, de vos collègues. Le contrôle de soi a toujours existé, mais aujourd’hui avec les réseaux sociaux il faut être évidemment plus vigilant.

Ronan Chastellier

Pour certains, c'est une règle d'or : on ne mélange pas vie privée et vie professionnelle. Mais cette séparation, toute artificielle, ne tient pas souvent la route. Déjà parce qu'on passe plus de temps au travail qu'à son domicile, ensuite parce que les occasions de voir ses collègues en dehors de l'entreprise sont nombreuses : afterwork, séminaires, déjeuners, dîners, apéros, etc.

Les pots d'entreprise, facteur de convivialité

Selon un sondage Ifop, réalisé en novembre 2011, 9 salariés sur 10 participent au moins à un apéro par an dans leur société et 27% trinquent plusieurs fois par mois.

Des moments de convivialité où l'on s'épanche et qui permettent aux collègues de pénétrer progressivement l'intimité de chacun. De fait, une amitié forte et durable peut naître avec pour ciment le travail.

Avec un collègue, cela peut être facile à vivre, surtout s'il n'y a aucun risque de concurrence. C'est même plutôt sain : il est préférable de travailler dans un cadre où l'on a plaisir à retrouver ses collègues que l'inverse. Mais avec son boss ?

Mon chef, mon ami

Une amitié peut aussi se nouer avec son supérieur hiérarchique. Parfois, c'est un collègue qui obtient une promotion et manage ses anciens collègues.

Si c'était son plan de carrière et que nul ne souffre de son ambition, son évolution en interne ne sera pas mal vécue. Mais ensuite, encore faut-il réussir à accepter ses ordres, qu'il sache diriger sans privilégier ses amis et qu'il ne donne pas d'ordre en dehors du travail. Autant dire que cela peut mettre une amitié à rude épreuve.

Cette amitié avec un supérieur hiérarchique peut aussi naître dans un rapport hiérarchique préexistant. Dans ce cas, c'est souvent un rapport basé sur le respect. Le salarié voit son supérieur comme un mentor. Il respecte ses ordres qui lui paraissent pertinents. Jusqu'à ce que l'élève dépasse le maître ? On peut le penser.

Les cadres croient davantage en l'amitié

Les Français ne sont pas nécessairement dupes des enjeux de pouvoir et des risques à trop sympathiser avec leur boss.

Seulement un salarié sur 5 pense que l'on peut être ami avec son patron, selon un sondage Terra Femina, réalisé en octobre 2012.

En revanche, 71% jugent qu'il "est possible de bien s'entendre avec son chef, son patron, mais sans être ami".

Les cadres - peut-être parce qu'ils sont eux-mêmes tentés de nouer des relations d'amitié avec leur équipe - croient davantage en l'amitié avec son chef (36%) ainsi que les employés de petites entreprises (25%).

Finalement, à chacun de mettre ses propres limites. Mais pour rappel, en 2013, une société a finalement été condamnée à verser plus de 200 000 euros à l'un de ses anciens employés, licencié pour harcèlement moral et sexuel. Lui se défendait d'avoir harcelé une de ses collaboratrices. Les juges sont allés dans son sens : sa collègue subalterne avait signé de nombreux par "bises" ou "bisous". Pour la Cour de cassation, ils étaient trop proches pour retenir le harcèlement sexuel et moral.

 

Sources : régionjob